Liaisons dangereuses
Bon, ben ça c'est fait. On referme le ban. Noël, son cortège de sapins, de joujoux par milliers, de coquilles saint-Jacques, de champagnes millésimés et de chocolats fins, on se donne rendez-vous l'année prochaine. Et maintenant, j'imagine qu'après avoir goûlument festoyé et/ou moultement dormi pendant le week-end, vous faites tous comme moi : les comptes.
Car la période des fêtes a ceci de particulier qu'elle achève de mettre complètement sur la paille ceux qui n'y étaient pas déjà. A mon niveau, on ne peut même plus parler de découvert, ce que je fais c'est du nudisme bancaire.
Mais j'ai des circonstances atténuantes.
Bah oui. S'ils ne nous avaient pas introduit une nouvelle monnaie à l'insu de notre plein gré, comme disait l'autre, j'aurais sans doute fait chauffer un peu moins la carte bleue ces dernières semaines.
Quoi, vous n'étiez pas au courant ? Mais si, en 2009 ils nous ont inventé une nouvelle devise, en plus de celle avec laquelle on avait eu tant de mal à se familiariser. Maintenant, on a le Heuro.
Oui, le Heuro. Avec un H aspiré.
Le Heuro, c'est comme l'Euro, mais en pas pareil. Et surtout ça ne marche que pour des produits qui passent en pub télé ou radio. Non, pour les affiches dans la rue et les pages de magazines, c'est toujours l'Euro qui fonctionne. Vous ne me croyez pas ? Ecoutez-les plutôt.
"Jusqu'à jeudi, votre hypermarché vous offre une réduction de 3 Heuros sur un paquet de lessive"... "Pour seulement 20 Heuros par mois, accédez à l'univers de la télévision satellite"... "Votre ancienne voiture reprise 2500 Heuros minimum pour toute commande d'un véhicule neuf"...
On y est. Une nouvelle étape dans le massacre organisé de la langue française. Après l'anéantissement de l'orthographe par la culture SMS, voici maintenant qu'on fait la nique aux liaisons. Et pourquoi ? Parce qu'elles sont dangereuses ? Ahaha. Non, bien évidemment. Mais dans la mesure où plus personne ne veut faire l'effort d'apprendre qu'on ne dit pas "8 Z'amis de longue date" mais bel et bien "80 Z'heures de travail", les publicitaires se disent sans doute qu'il faut se mettre au niveau ?
Des fois que d'entendre "700 Z'élèves", ça lui ferait bizarre dans les oreilles, au commun des mortels. Ouh là là, on va surtout pas se risquer.
Mais oui, vous avez raison, les pubards. Allez-y, continuez à vous abaisser, vous qui êtes les derniers pourtant, à être religieusement vus et écoutés par des millions de beaufs englués dans leur médiocrité. Parlez-leur de plus en plus mal, ne leur offrez surtout pas la moindre chance de s'améliorer. Les animateurs télé vous ont déjà emboîté le pas. Il n'en faudra pas beaucoup plus pour que Jean-Pierre Pernaut déclame, le regard en coin devant son prompteur, que "500 Henfants ont célébré le retour de Dorothée sur scène"...
Et le pire, dans tout ça, c'est que je suis toujours à découvert.