L'attaque des clônes
C’est comme ça tous les matins. Sur les coups de 7h30, je fais mon entrée dans la gare. A ma gauche, les taxis attendent un hypothétique cadre dynamique, la petite blonde du Relay finit d’installer les magazines livrés pendant que sa collègue dépote au comptoir. Quelques bornes de retrait sont occupées, les blousons bleus de la SNCF donnent des renseignements aux voyageurs à la recherche de leur voie de départ.
Et là, soudain, c’est le drame.
Surgis de nulle part, plusieurs dizaines de monstres beuglants investissent le hall. Il ne leur faut que quelques secondes pour occuper tout l’espace disponible, interdisant à quiconque la moindre velléité de déplacement. Leur flot tentaculaire se déverse, compact et décidé, en direction des trois portes principales qu’il paralyse instantanément. Malheur à celui qui veut entrer !
Mâles ou femelles, ils ont tous les attributs d’un corps armé dont l’unique mission est d’apeurer la population. Jeans slim, doudounes, diams sous la lèvre et coupe emo pour les unes, bas de survêtements, chaussures de sport et casquettes pour les autres. Ils dégainent leurs téléphones portables comme autant de Kalachnikov, les brandissent fièrement en redoublant de cris et de borborygmes incompréhensibles qui s’entrechoquent.
- Non mais zyva, t’as vu comment j’lui ai niqué sa race à c’bouffon ?
- C’est trop un mytho c’keuf, il a balancé qu’on avait chourave le keuss d’une mémé !
- Comment c’était relou c't'exo…
- Hier soir, j’ai bédave comme un ouf, j’étais foncedé…
- Wah Cynthia, trop la honte ce zonblou…
- La prof d’anglais, ses veuches, tu trouves pas qu’ils sont trop chelous ?
- La meuf de taleur, j’la fissure !
- L’aut’ bâtard là, à cause de lui j’ai pas pécho mon bus...
- Ah mais ce legging, jamais je le mettrai, trop pas !
Petit à petit, cependant, le nuage se dissipe au dehors, dans la nuit finissante. Les allées redeviennent praticables et le nombre de décibels au mètre carré retrouve un niveau normal. L’ouragan est passé. Il n’a pas fait de dégâts, pas plus qu’il n’en fera en centre ville, sur le chemin qu’il lui reste à accomplir jusqu'au lycée. Et moi, dans quelques secondes, en accédant à mon train, j’aurai tout oublié. Comme tous les matins.
Et c'est tant mieux.