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Ce sera sans moi !
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21 décembre 2009

Prenez le temps d'aller vite, épisode 4

infid_le

Dehors, il fait nuit noire, on ne distingue rien de l'épais manteau blanc qui recouvre la campagne. Le TGV a quitté Paris avec un peu de retard, le contrôleur vient d'annoncer qu'à l'arrivée celui-ci se monterait à une trentaine de minutes : les conditions climatiques ne permettent pas de filer à l'allure habituelle de 300 km/h.

A vitesse réduite, le niveau sonore baisse d'un ton, lui aussi. Et à cette heure déjà tardive, la plupart des voyageurs ont choisi d'accompagner ce calme de circonstances, les uns plongeant le nez dans un magazine, les autres tripotant leur lecteur MP3, les yeux mi-clos, tête incinée, écouteurs sur les oreilles.

Seul un couple, juste à ma droite, de l'autre côté de l'allée centrale, semble d'humeur à faire la conversation.

... Je ne sais pas si tu te rends compte... sans aucun état d'âme... tu n'es absolument pas cohérent...

C'est elle qui parle. Elle occupe le siège côté fenêtre. Je n'aperçois pas son visage, juste ses genoux. Son voisin, armoire à glace d'au moins un mètre quatre-vingt-dix, grisonnant à l'allure de gros nounours, est penché vers elle et lui tient la main. Et elle poursuit.

... Je ne suis plus disposée... forcément navrant d'utiliser comme ça ma fragilité... demande à ta femme si elle supporterait...

Aucune phrase ne me parvient en totalité mais les accents toniques qui les martèlent me renseignent malgré moi sur le rapport qui unit ce couple. Je tente de m'en détacher. Mais la dame en jupe noire n'a pas l'intention de se montrer plus discrète.

... histoire grotesque qui n'en finit plus de montrer ses limites... ton inconsistance et ton aveuglement... en pure perte... d'un ridicule que je ne peux plus supporter...

Bon, eh bien comme ça c'est clair. Gros nounours est en train de se faire larguer et s'en prend plein les gencives. Il n'a pas ouvert la bouche, ni pour se défendre, ni pour s'excuser. Ce qui ne l'empêche pas de caresser la main de l'invisible, courbé vers elle, le menton dans son cou. Et elle, tout en lui réglant son compte, se laisse faire, accepte des baisers. Je voudrais réellement fixer mon attention ailleurs mais la voix de la flingueuse agit sur moi comme un aimant.

... pas la moindre écoute de mes exigences... fourni aucun effort depuis au moins un an...

Bon, oh, c'est bon là Nounours, tu vas répliquer, oui ou merde ? Ça fait vingt minutes qu'elle t'en met plein la tronche et que t'encaisses sans broncher. Franchement, si t'es pas capable de lui rentrer dans le lard après ce qu'elle t'a envoyé, on se demande vraiment à quoi ça sert de tromper ta femme ! Non mais c'est vrai quoi. Pourquoi prendre une maîtresse si c'est pour que ça se passe encore plus mal qu'à la maison ?

Il m'a entendu. Le voilà qui ouvre la bouche, enfin.

- Au fait, j'ai mis ton pull la semaine dernière.

Elle lui répond qu'elle est contente, qu'elle ne pensait pas qu'il le porterait. Du coup, elle a autre chose pour lui. Elle ne savait pas si elle allait oser le lui offrir, mais ce qu'il vient de lui dire l'a libérée. Elle se penche vers son sac, tout sourire, en retire un paquet cadeau qu'elle lui met dans les mains en posant sa tête sur son épaule. En un instant, la venimeuse insidieuse est devenue féline câline. Tour de passe-passe étourdissant.

Je mets un moment avant de comprendre que pour la première fois depuis le début du trajet, elle m'a montré son visage. Le visage d'une femme à la dérive, en perte de repères, complètement perdue.

- Je t'enverrai un texto quand il ira coucher la petite, il lui lit toujours un conte ou deux.

Le nounours acquiesce.

Et moi je suis bien content d'être arrivé à ma gare d'arrêt. De pouvoir les laisser derrière moi avec leurs espoirs en bandoulière, leurs élans contradictoires et leur avenir incertain. De quitter ce train, de marcher un peu sous la neige, d'avoir cette perspective de retrouver ma femme et mon fils que j'aime et qui m'aiment.

De me dire que les histoires d'amour finissent mal, sauf celles qui ne finissent pas.

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Commentaires
J
On est en droit de se demander si l'adultère rend adulte... ^^
P
Et le cadeau, du coup, c'était quoi ???
S
J'aime ce post & atteste de la véracité de tous les points de vue car aussi politiquement incorrecte que cela puisse paraître, je les ai vécu de l'intérieur, de l'extérieur et à aujourd'hui... il me semble suivre les pas de notre Obi Wan, Charlie !
C
Il n'y a pas grand'chose à rajouter à vos réactions. L'amour est effectivement mis à l'épreuve tous les jours, à des degrés divers, il ne nous appartient pas de juger ceux qui choisissent de s'en échapper auprès d'une tierce personne. Ce n'est probablement jamais tout blanc ou tout noir. Il y a des gens bien qui trompent leurs femmes, des salauds qui leur restent fidèles, et vice versa. Mais la question n'est pas là.<br /> <br /> Je voulais juste exprimer, par ce billet, le fait que de l'extérieur on imagine toujours une histoire extra-conjugale comme formidable, exaltante, des après-midis à baiser comme des castors dans les draps de soie des grands hôtels... Alors qu'en fait, apparemment non. On se cogne souvent à la banalité du quotidien, on se prend la tête pareil. <br /> <br /> Toujours est-il que voilà, pour le peu que je puisse l'observer, l'adultère me semble loin de constituer une solution miracle.<br /> <br /> Merci à tous pour vos commentaires.
L
Les trains sont propices à ce genre de rencontres. On ne saisit que des bribes d'histoires, des prémices de rendez-vous, des entr'vues furtives. <br /> <br /> L'homme des Steppes me confiait l'autre jour qu'il a du mal, désormais, à se passer de ses écouteurs, qui le coupent de l'intimité parfois trop étalée de ses compagnons de voyage...
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