La farce tranquille
Il y a bien longtemps que je ne vous avais pas brossé le portrait d'un des phénomènes de la Krach and Partners. Vous vous souvenez de Marguerite Kerguelen ? Eh bien chez nous, il n'y a pas que des rayeurs de parquet. Il y a aussi ceux qui n'en fichent pas une ramée. Plus rares, certes (on ne fait pas 110% de nos objectifs tous les ans par hasard). Mais quand même, y en a.
La personne dont je vais vous parler aujourd'hui est en charge de notre secrétariat. Ce n'est pas une mauvaise bougresse, mais il est clair que sa présence dans notre service s'apparente une gigantesque erreur de casting. En gros, cette fille est faite pour son métier comme moi pour le marathon de Paris. Plus désorganisée, y a pas. Moins rigoureuse, tu meurs. Sa propension à se noyer dans une goutte d'eau n'est plus à démontrer. En place depuis... (depuis quand déjà ? plus longtemps que nous tous en tout cas) elle s'est rendue célèbre par ses envolées lyriques à la photocopieuse. Qui ne l'a jamais entendue hurler contre "le connard qui a mis des étiquettes dans le bac du papier à en-tête" n'a pas vraiment pris la mesure du personnage.
Mais encore une fois, tant qu'elle n'accumule pas trop de bourdes, son attitude n'a rien de désagréable. Pour peu qu'on ait envie de glander un coup. Toujours prompte à proposer une descente à la cafeteria ou à inonder nos boîtes mail de vidéos un peu niaises et de chaînes de l'amitié en tout genre, sa décontraction atteint des sommets lorsqu'on approche de son bureau, un espace partagé qu'elle a réussi à reconvertir en chambre d'ado, posters de Mylène Farmer à l'appui.
Eh oui. Parce que la dame est fan. Archi-fan. Et pas seulement de la vilaine rouquine gothico-pouffe. De tout un univers associant Buffy contre les vampires aux héros de Tim Burton. Rien de condamnable en soi, sauf que cette passion se vit ici, face à ses collègues, à l'exclusion de toute autre activité. Croyez-moi si vous voulez, mais le jour où on pique une grosse colère parce qu'une livraison super-urgente dont elle avait la charge a pris du retard, et que la seule réponse qu'on obtient, c'est "bah pas grave, ce soir je vais voir Twilight", ça agace un peu.
Une farce humaine, voilà ce qu'elle est.
Pour autant, même si elle est définitivement cramée et que nous ne sommes plus très nombreux à lui faire confiance sur des sujets stratégiques, la miss est toujours là. Et je crois qu'elle ne se rend pas bien compte de sa chance, dans le contexte actuel où on comprime du personnel pour moins que ça, d'avoir été maintenue dans un poste qui, à la louche, doit l'occuper une journée par semaine. Au contraire, elle continue de se plaindre, haut et fort, du manque de considération dont elle fait l'objet. "Tu vas voir que ces cons-là, ils ne vont encore pas m'augmenter cette année" est le genre de phrase qu'on l'entend clamer à l'envi dans les couloirs.
Un tel manque de lucidité frise l'irréel. Mais elle continue. Et j'ai appris récemment (grâce à la complicité de Schtroumpfette) qu'elle ne s'arrêtait pas là. Son désarroi, sa haine envers ses employeurs, cette écervelée les a consignés sur sa page Facebook ! Un texte assasin agrémenté d'une jolie photo de sa main droite, majeur fièrement dressé vers le ciel. Une page que nombre de gens de la boîte, qu'elle a elle-même référencés comme amis, peuvent consulter quotidiennement. Il a fallu que je me pince pour y croire.
Non mais quelle conne !
Et le pire dans tout ça, c'est que parmi ses nombreux commentateurs, il n'y en a pas eu un seul pour attirer son attention sur les dangers d'un discours aussi transparent. Tout au plus l'un d'entre eux lui a-t-il conseillé de claquer la porte.
C'est tout le mal que je lui souhaite.