Le poids, c'est l'ennemi
"Comment devenir fin sans devenir fou?" se demandait Sanseverino dans une de ses chansons. S’il a trouvé la réponse, il l’a apparemment gardée pour lui. Car plus que jamais, l’être humain cherche la solution miracle pour devenir maigre. Ou quand il l’est déjà, pour le rester.
A la Krach and Partners International Ltd, plus qu'ailleurs, les acharnées du régime sont légion. Principalement les filles, qui passent leur temps à s’auto-convaincre qu’il n’y a de bonheur terrestre possible que si on arrive à se quicher dans un 36. Ah, la saine et belle émulation que voilà ! Regardez-les, alignées devant les buffets du restaurant d’entreprise, parsemant leurs plateaux de bouts de salade sans huile, de mini-pamplemousses et de yaourts allégés, les bras bien serrés le long du buste pour ne pas afficher au grand public le disgracieux bourrelet imaginaire qui entoure leur nombril…
Et toi, tu débarques avec ta pizza aux trois fromages, ton Coca, ta tarte aux cerises et l’énorme sachet de sucre que tu verseras dans ton café à la fin du repas. Tout sourire et pas préoccupé pour deux sous.
Eh bah ça ne loupe pas. Immédiatement, à la vue du festin que tu t’es octroyé et dont le total de calories est supérieur à celui des 14 plateaux voisins réunis, il y en a forcément une – allez, au hasard, la petite brune aux lunettes noires de la Compta - qui prend la parole. Pour se justifier. Alors que tu ne lui as évidemment rien demandé.
- Je me suis gavée ce week-end, Charlie, c’est une horreur. Faut vraiment que j’arrête.
- Ah bon, scronch, miam, glurb ? T’as fêté quelque chose ?
- Non, mais j’étais chez mes parents et tu sais ce que c’est, ma mère avait fait son gâteau…
- Oui, c’est sûr, scrotch, groumf, le verre de Porto et la rondelle de saucisson du samedi soir, dans ton état, c’est suicidaire, crock crock slurp.
- Ah, tu vois, toi aussi tu trouves que j’ai pris !
Eh ben non, justement, je ne trouve pas. Je faisais de l’humour. De l’humour gras (pour rester dans le sujet). Mais peu importe, quoi que j’aie pu dire, de toute façon elle l’aurait pris pour un encouragement à commencer un régime.
Les régimes. La plus grosse foutaise du monde après Dieu et la Compagnie Créole. Cette réponse toute faite au besoin perpétuel qu’a l’être humain d’aggraver son cas, alors que bien souvent ledit cas n’a aucun besoin qu’on s’occupe de lui. "Tu te trouves trop rond ? Eh bien arrête de manger".
Connerie !
Il n’y a rien de pire que de ne pas manger à sa faim. De sauter un repas ou, histoire de culpabiliser un peu moins, de le réduire à une pomme verte parce qu’on a descendu une raclette la veille. Il faut vous le dire en quelle langue ? Le corps n’est pas un Magimix sans autre fonction que de se remplir et de se vider ensuite ! Il a une mémoire. Donnez-lui une forte ration un jour et plus rien le lendemain, il s’alarmera : "Oh punaise, y en a de moins en moins, si ça se trouve la prochaine fois y aura même plus rien du tout, va falloir que je joue ma fourmi de La Fontaine et que je stocke en prévision de la future disette". Résultat, le moindre excès qui suit vous fait basculer dans le trop plein. C’est comme ça que vivent la plupart des régimeuses, adeptes du yoyo, +5, -3, +7… qui se termine invariablement plus haut qu’il n’a commencé.
Le corps est aussi intelligent. N’essayez pas de feinter en choisissant, au moment du café, un carré de chocolat allégé pour compenser la bière de l’apéro. Il le sait, lui, que les fabricants ont dû, tout en retirant le sucre, charger la composition du produit en graisses végétales, simplement pour en maintenir le goût.
Mais bon, mon objectif n’est pas de faire un cours de nutrition sur ces pages. Je voudrais juste dire à tous ceux, et surtout celles qui me lisent, que j’en ai vraiment assez de vous entendre sans arrêt parler de vos (supposés) kilos en trop. Marre de vous regarder vous priver de croissants, de desserts et même de vins, sous le fallacieux prétexte qu’y succomber vous transformerait en bête de foire qui fait peur aux petits enfants. Ma claque d’avoir des consignes du style "oui mais tu fais léger, hein" quand je vous invite à dîner (oui maman, celle-là, elle est pour toi).
Je sais bien que vous n’êtes pas coupables. Que tout ça c’est la faute de Karl Lagerfeld et de ses potes, des rédacteurs en chef de magazines qui doivent vendre du rêve à tout prix, de monsieur Zara et de madame La City avec leurs rayonnages pour anorexiques.
Mais quand même.
Arrêtez un peu de croire que pour être regardables, aimables, baisables – disons les choses comme elles sont – vous devez obligatoirement en passer par la case "privations".
J’ai toujours préféré les petits boudins aux grandes asperges. Même si ça fait grossir.